18

Au lieu d’emprunter le corridor conduisant au pont promenade de l’Aventurier Errant – où deux douzaines d’étudiants de l’Académie attendaient impatiemment de pouvoir démontrer leurs talents à maîtriser la Force –, Luke et ses compagnons suivirent Booster Terrik, tiré à quatre épingles, jusqu’à un tube élévateur qui menait directement à la passerelle. Le destroyer stellaire ne pouvait rester trop longtemps en orbite autour d’Eclipse sous peine de révéler l’emplacement de la base secrète. La dernière chose que souhaitaient tous les membres du groupe, c’était bien de perdre du temps à regarder les informations du réseau HoloNet. Malheureusement, ils venaient d’apprendre que Nom Anor était sur le point de s’adresser au Sénat à propos des otages de Talfaglio. Borsk Fey’lya avait insisté pour que Wedge Antilles et Garm Bel Iblis soient tous deux présents. Sans aucun doute, quelque chose allait se produire, quelque chose de très important pour les Jedi.

Booster les mena jusqu’à l’arrière de la passerelle de commandement du navire. On avait installé un vieux projecteur holographique impérial au bout d’une table de conférence sur laquelle traînaient datablocs, dessins scientifiques et feuilles de filmplast couvertes de notes. En plus de Luke et de Booster, il y avait là Corran et Mirax Horn, Han et Leia, R2-D2 et C-3PO, ainsi que Ben, exprimant son mécontentement, niché au creux des bras de Mara. Tionne et Kam Solusar se trouvaient sur le pont promenade en compagnie de leurs étudiants, leur expliquant que Maître Skywalker avait hâte de venir les voir et qu’il les rejoindrait très prochainement.

Luke ne savait pas encore comment Corran et Mirax Horn étaient parvenus à échapper aux voxyns sur Corellia. Leur récit avait été interrompu par l’annonce de l’apparition de Nom Anor au Sénat. Ils avaient cependant annoncé que leur évasion n’avait rien d’extraordinaire, mais qu’il leur fallait trouver un moyen de rembourser rapidement et discrètement les Services de Transports Corelliens pour les dégâts occasionnés à un taxi volant.

Ben s’agita de plus belle au fur et à mesure que le groupe se rassemblait autour de la palette de réception holographique. Normalement, il était le plus imperturbable des bébés, mais certaines fois il était impossible de le consoler. R2-D2 ajusta la réception du vieil appareil sur l’holofréquence du Sénat. Et Ben se mit à pleurer. Luke sentit Mara invoquer la Force pour le calmer. Cela ne servit pas à grand-chose. Il l’invoqua alors lui-même pour essayer de remédier au problème. Ben pleura encore plus fort. Mara poussa un long soupir et emmena le bébé dans la pièce voisine.

Leia l’intercepta au passage.

– Laisse-moi faire. Je ne suis pas obligée d’assister à tout ça. Mara hocha la tête et passa l’enfant à sa belle-sœur.

Ben se calma presque instantanément. Luke et Mara échangèrent un regard surpris, se sentant tous deux un peu peinés de ne pas avoir été capables de consoler leur fils, mais sachant également qu’il devait y avoir une autre raison pour expliquer ce calme soudain.

– Je pensais à Anakin, leur dit Leia, les yeux fixés sur le visage de l’enfant. Tout en observant Mara, j’étais en train de me dire que j’aurais tant aimé pouvoir le tenir plus souvent dans mes bras lorsqu’il avait l’âge de Ben.

Luke sourit et se tourna à nouveau vers la palette holographique. La caméra se rapprochait d’une silhouette familière dans la grande chambre de convocation.

 

Pour Viqi Shesh, Nom Anor avait l’air bien trop sûr de lui. Même si Fey’lya lui avait refusé le privilège de se présenter en tenue complète de guerrier, l’exécuteur se tenait droit et hautain, sourd aux huées ou encouragements des sénateurs présents, son œil valide braqué sur le podium des hauts conseillers. Il portait une tunique étincelante de glistatoile vivante, presque aussi résistante aux tirs de blaster qu’une armure en crabe vonduun, mais d’allure beaucoup plus anodine. Un tissu parfaitement inoffensif aux yeux de ceux qui ignoraient le secret de ses fibres, capables de neutraliser les décharges énergétiques.

Nom Anor s’avança jusqu’au centre de l’estrade des orateurs et attendit que le silence se fasse. Viqi comprit immédiatement que l’attente serait longue. Après les déclarations publiques de Fey’lya à propos de son soutien aux Jedi, les sénateurs qui se rangeaient du côté de l’Ordre étaient contents d’avoir à attendre le signal du Bothan pour se calmer. Aucun n’aurait raté cette occasion de tourmenter un adversaire et Fey’lya n’avait pas l’intention de donner à Nom Anor la possibilité de s’amender. Il se pencha en avant, observant attentivement la salle depuis sa console de chef d’Etat et parla dans son microphone :

– Vous avez donc demandé à être entendu. (La voix amplifiée de Fey’lya résonna dans la Chambre et calma les cris des sénateurs.) Avez-vous l’intention de nous fournir des explications au sujet des otages de Talfaglio ?

L’orbite vide de Nom Anor sembla palpiter.

– Pas vraiment. Vous comprenez la situation. Je suis venu vous informer que le Maître de Guerre a décidé d’accorder un peu plus de délai aux Jedi pour qu’ils se rendent.

La salle tout entière explosa d’un cri de stupéfaction. Viqi fut au moins aussi choquée que le reste de ses confrères, car le Maître de Guerre n’était pas du genre à accorder de délai, surtout face aux menaces creuses de Fey’lya. Peut-être Nom Anor était-il en train de jouer à un de ces petits jeux dont il avait le secret ? Maintenant que Borsk Fey’lya soutenait ouvertement les Jedi, il était possible que l’Exécuteur cherche à passer un accord avec lui. Un tel plan devait rapidement être contrecarré, sinon Nom Anor pourrait prendre la place de Viqi sur le siège de Borsk Fey’lya lorsque les assassins dépêchés par Tsavong Lah passeraient enfin à l’attaque. Elle ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi ceux-ci n’avaient pas encore agi. La plupart des occasions dont elle avait dressé la liste avaient déjà été manquées et, jusqu’à présent, aucun individu suspect n’avait été remarqué dans l’entourage du Chef d’Etat.

Sans attendre que le brouhaha cesse, Viqi activa son microphone.

– Comment expliquez-vous ce soudain éclair de conscience, Ambassadeur ?

Nom Anor conserva son attitude pleine de suffisance.

– Le Maître de Guerre a fini par comprendre qu’il était peut-être difficile aux représentants de la Nouvelle République d’exécuter ses ordres en un laps de temps aussi court. (Il marqua une pause et se détourna du podium des hauts conseillers pour observer les galeries.) La nuit dernière, un citoyen préoccupé par l’avenir de la galaxie nous a livré dix-sept jeunes Jedi…

Le grondement de colère qui monta de l’assemblée fut tel que le reste de la déclaration de Nom Anor fut absorbé par le bruit. Viqi se laissa aller contre le dossier de son fauteuil, aussi stupéfaite que tout le monde. Elle commença à se demander comment une chose pareille avait pu se produire. Aucun chasseur de primes de cette galaxie n’était à même de parcourir ainsi l’espace pour capturer dix-sept Jedi. Elle doutait d’ailleurs qu’une escouade complète de chasseurs de primes soit capable d’un exploit pareil.

Pour ramener le silence, Fey’lya fut obligé de faire éteindre les lumières de la salle. Il dut cependant attendre encore plusieurs minutes avant de pouvoir se faire entendre. Il déclara qu’il venait de demander au sergent en poste d’ordonner à ses droïdes de sécurité de faire sortir tout sénateur qui élèverait trop la voix. Lorsque la lumière revint, les oreilles du Bothan étaient couchées vers l’arrière. Une longue crête de poils était hérissée sur sa nuque.

– Je ne vous crois pas, dit-il.

Viqi fut tentée d’abonder dans ce sens, apparemment tout comme le reste des membres du Sénat. Un murmure parcourut l’assistance. Celui-ci manqua de se transformer en tumulte, mais les droïdes de sécurité contrôlèrent rapidement la situation en formulant de sévères avertissements concernant le niveau sonore. Nom Anor émit un grognement dédaigneux.

– J’ai là une liste. (Il sembla consulter quelque chose qui ressemblait à une peau de serpent tannée.) Leur chef est Ganner Rhysode, déclara-t-il. Ses assistants semblent être Tesar Sebatyne et un Wookiee appelé Lowbacca.

Un grondement plaintif s’éleva de la tribune de la délégation Wookiee et un droïde de sécurité encaissa une gifle violente administrée par une grosse patte poilue.

– La Jedi Bith Ulaha Kore a été blessée en tentant de résister à sa capture. Et puis, je reconnais là également le nom de Solo…

– Solo ? s’étrangla Wedge Antilles. (Pour une raison que Viqi ne comprenait pas, il se tenait en compagnie de Garm Bel Iblis, derrière Borsk Fey’lya.) Vous avez capturé un Solo ?

L’assistance sombra dans un silence tel que la question suivante, posée par le Général Bel Iblis, aurait pu atteindre les rangées supérieures des tribunes sans l’aide du microphone de Fey’lya.

– Lequel avez-vous capturé ? Anakin ou les jumeaux ?

L’expression dédaigneuse disparut immédiatement du visage de Nom Anor.

– Des jumeaux ? (Il se força bien vite à recouvrer un ton hautain, mais, aux yeux de Viqi, son visage exprimait plus le dégoût qu’autre chose.) Nous détenons trois jeunes Solo.

Les deux généraux se regardèrent, l’air abattus. Les oreilles de Fey’lya tombèrent un peu plus, mais seule Viqi avait remarqué le subtil changement dans l’attitude de Nom Anor. Elle ignorait ce que la notion de gémellité pouvait signifier chez les Yuuzhan Vong, mais il paraissait évident qu’elle avait de l’importance. En s’y prenant bien, Viqi pourrait rabaisser Nom Anor aux yeux de Tsavong Lah en utilisant le manque d’informations de l’Exécuteur.

Elle se pencha en avant et dévisagea Nom Anor, comme pour le défier.

– Jaina et Jacen sont des jumeaux, Ambassadeur. Tout le monde sait cela, ajouta-t-elle avec un petit sourire narquois en se redressant. Ce sont des jumeaux, tout comme leur mère est la sœur jumelle de Luke Skywalker…

L’œil valide de Nom Anor sembla rétrécir dans son orbite et l’Exécuteur foudroya Viqi du regard.

– Ce qu’ils sont n’a que peu d’importance. (Il s’obligea à se tourner à nouveau vers Borsk Fey’lya.) Ce que je suis venu vous dire, ce que Tsavong Lah souhaite que je vous dise, c’est que, en tant que Maître de Guerre, il n’est pas déraisonnable. Il est prêt à épargner les otages de Talfaglio tant que la Nouvelle République continuera de lui livrer ses Jedi…

– Jamais ! tonna Fey’lya en se levant de son fauteuil.

Nom Anor l’ignora et se tourna vers la tribune :

– Une quantité équivalente tous les…

Son microphone fut soudainement éteint et ses derniers mots n’atteignirent pas les membres de l’assistance. Viqi se pencha sur son propre micro.

– Une quantité équivalente tous les dix jours standard. Vous avez tous le droit de le savoir, même si le Chef de l’Etat ne le souhaite pas.

Ses propos enflammèrent immédiatement l’assistance, créant un tel chaos que les droïdes de sécurité durent obliger certains sénateurs à évacuer la salle à grand renfort de leurs aiguillons électrifiés. Fey’lya pressa un bouton sur sa console avant de se lever. Sa voix était à présent transmise dans les haut-parleurs de la grande salle, mais également relayée à chacune des consoles individuelles.

– Ce que le Chef de l’Etat souhaite vous faire connaître, même si le Sénateur Viqi Shesh s’y oppose, c’est comment les Yuuzhan Vong usent de la diplomatie.

Mif Kumas, sergent chargé de la sécurité du Sénat, apparut soudainement en bordure du podium. Ses grandes ailes de Calibop battaient furieusement l’air pendant qu’il tentait, en compagnie de trois imposants droïdes de sécurité, de ramener l’ordre dans l’assistance. Fey’lya regarda dans la direction de Viqi et dévoila brièvement ses crocs. Elle comprit alors que si le chef de l’Etat était toujours vivant, ce n’était pas parce que les assassins de Tsavong Lah tardaient à agir, mais tout simplement parce qu’ils avaient échoué. Son sang se glaça. Cependant, elle garda tout son calme, se leva et se prépara à quitter le podium des hauts conseillers.

Fey’lya appuya sur un bouton de son tableau de contrôle et sa voix retentit directement dans le haut-parleur de la console de Viqi :

– Où comptez-vous aller, Conseiller Shesh ?

Viqi releva le menton et regarda le Bothan droit dans ses yeux violets avec autant d’assurance qu’elle pouvait se le permettre.

– Une affaire personnelle et urgente…

– Restez donc, dit-il avec un sourire malicieux. Ça ne prendra pas longtemps, et je suis certain que vous allez trouver cela des plus… enrichissant.

Face à la perspective d’être publiquement humiliée par les droïdes de sécurité de Kumas et tout en tentant de conserver un air innocent, elle regagna son siège, essayant de ne pas prêter attention aux regards soupçonneux des deux généraux tournés vers elle.

– Je souhaite que vous en finissiez vite.

– Mais certainement. En finir rapidement, n’est-ce pas là ce qu’il y a de plus sûr ? (Fey’lya appuya sur un bouton et sa voix retentit à nouveau dans les haut-parleurs. Il se tourna vers Nom Anor.) Récemment, un détachement d’espions Yuuzhan Vong a tenté de m’assassiner…

Un murmure parcourut l’assemblée. Viqi sentit son estomac se serrer. Il y avait fort à parier que son « affaire personnelle et urgente » serait très bientôt parfaitement vérifiable.

Fey’lya leva les mains.

– Il y en a sûrement certains parmi vous qui considéreront cela comme une astuce cynique visant à me faire gagner un quelconque avantage politique. Mais je vous assure que ce n’est pas le cas. (Il baissa les yeux vers Nom Anor, qui venait de remarquer que le Calibop et les trois droïdes de sécurité se rapprochaient de lui.) Mon seul désir est de bien faire comprendre à mes détracteurs, au sein de cette assemblée, la nature des individus auxquels nous faisons face actuellement. A cette fin, j’ai convoqué deux hommes qui pourront attester de la véracité de cette attaque, deux généraux dont l’honnêteté est au-delà de tout soupçon et qui – comme beaucoup d’entre vous le savent déjà – ne me portent pas vraiment dans leur cœur.

Il fit signe aux généraux de s’avancer. Wedge Antilles se pencha sur le micro.

– Une attaque a effectivement eu lieu.

– Malheureusement, ajouta le Général Bel Iblis, nous sommes à l’heure actuelle engagés sur des missions secrètes et nous ne pouvons vous révéler aucun détail. Mais tout s’est déroulé comme vous l’a dit le Chef de l’Etat Fey’lya. Il n’y a aucune ambiguïté possible.

Le murmure se transforma bientôt en une rumeur outrée. L’estomac de Viqi produisit un grondement si fort que son micro en relaya le son. Fey’lya se tourna vers elle.

– Sénateur Shesh ? demanda-t-il. Avez-vous quelque chose à nous dire ?

Le regard de Viqi sembla soudain lancer des vibrolames vers Fey’lya. Elle jeta un coup d’œil aux droïdes de sécurité. Ceux-ci flottaient à moins de cinq mètres en arrière de Nom Anor. Le seul fait de savoir qu’ils la maîtriseraient avant même qu’elle ait eu le temps de tirer l’empêcha de sortir le petit blaster qu’elle dissimulait dans ses vêtements.

– Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, Borsk ? Que je suis désolée ?

Fey’lya laissa échapper un sourire de triomphe.

– Une excuse n’est pas nécessaire, Sénateur Shesh. Je sais que vous aviez seulement en tête de sauver Kuat. (Il se tourna dans la direction de Nom Anor.) Et tant que vous reconnaissez votre erreur…

– Mon erreur ? s’étrangla Viqi, commençant à comprendre que son secret en était toujours un.

Peut-être que son contact avait été abattu pendant l’attaque. A moins que les espions Yuuzhan Vong ne soient suffisamment entraînés pour résister même aux plus convaincantes des méthodes d’interrogatoire modernes. Cela n’avait guère d’importance. Fey’lya devait être persuadé qu’il avait remporté le défi. Le défi politique qu’elle lui avait lancé. Il souhaitait la faire rentrer dans le droit chemin, rallier sa confiance à sa cause. Il n’avait pourtant aucune idée du jeu qui était en train de se jouer. Aucune idée du tout. Viqi sourit et baissa la tête.

– Je reconnais mon erreur. (Elle se tourna ensuite vers Nom Anor.) On ne peut pas faire confiance aux Yuuzhan Vong, c’est tout.

 

– Ça alors ! déclara C-3PO pour lui-même. Avez-vous remarqué l’intérêt manifesté par Nom Anor lorsqu’on lui a annoncé que Jacen et Jaina étaient jumeaux ?

Personne, pas même Luke, ne daigna répondre au droïde. Leurs yeux étaient tous rivés au projecteur holographique. Fey’lya, rayonnant, était en train d’informer Nom Anor qu’il était en état d’arrestation. Luke fut cependant troublé de constater que le Yuuzhan Vong ne cherchait pas à protester en clamant son innocence. Il regardait le Bothan, comme si Fey’lya et lui-même partageaient les mêmes pensées.

– Bien entendu, il est impossible de savoir quelle importance peuvent avoir des jumeaux sur la culture Yuuzhan Vong, continuait de déblatérer le droïde de protocole. Mais, pour approximativement quatre-vingt-dix-huit pour cent des civilisations de notre galaxie, ils représentent la double nature de l’univers : le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, l’homme et la femme. Lorsque les jumeaux sont en harmonie, alors l’univers est en harmonie…

Dans l’hologramme, Mif Kumas vola en battant des ailes jusqu’à Nom Anor, brandissant une paire de menottes. Les trois droïdes de protection se postèrent en triangle autour du Yuuzhan Vong. A la grande surprise de Luke, celui-ci tendit les bras et rapprocha ses poignets. Puis il saisit l’un de ses petits doigts et le cassa net. Des volutes de vapeur noire jaillirent de la blessure, entourant Nom Anor et Mif Kumas d’un miasme d’encre.

Ce qui se passait ne semblait pas conforme aux paramètres de programmation des droïdes de sécurité. Ils n’ouvrirent pas le feu avant que le Yuuzhan Vong plonge le moignon de son doigt dans la figure du Calibop éberlué. Luke vit les premiers rayons de blaster atteindre la tunique étincelante de Nom Anor et disparaître sans lui causer le moindre mal. Soudain, le Yuuzhan Vong et le sergent disparurent dans le nuage de ténèbres en expansion. Ne prêtant guère attention à ce qui était en train de se passer dans la projection holographique, C-3PO continuait son exposé :

–… quelle que soit la signification de la gémellité pour nos ennemis, j’ai bien peur que cela ne fasse que renforcer la vigilance de ceux qui ont capturé Jacen et Jaina. La réaction de Nom Anor nous suggère que…

– C-3PO ! aboya Leia, revenant dans la pièce avec Ben toujours endormi dans ses bras.

– Oui, Maîtresse Leia ?

– Ferme-la avant que ne me vienne l’envie de faire procéder à un effacement de tes banques de données.

– Effacer mes banques de données ? répéta C-3PO. Mais pourquoi donc aurais-je besoin qu’on efface mes banques de données ?

R2-D2 formula une suggestion.

– Mais enfin, je ne souhaitais pas alarmer Maîtresse Leia, objecta C-3PO. Je voulais simplement…

Han s’avança jusqu’au droïde, passa la main derrière sa tête et coupa l’interrupteur principal.

– Merci, dit Luke, sachant toutefois que Han avait pris la décision de faire taire C-3PO surtout pour Leia et pour lui-même.

La scène retransmise par l’hologramme était confuse, sombre. Et les choses ne semblaient guère s’arranger. Le nuage déclenché par Nom Anor emplit rapidement tout le champ de la caméra. Les droïdes de protection cessèrent de tirer faute de pouvoir repérer leur cible. L’opérateur de la caméra élargit l’image pour embrasser l’ensemble de la salle. Mais les fumerolles noires continuèrent de se propager et cette nouvelle vue fut à nouveau rapidement obscurcie en quelques secondes. La retransmission audio ne fut bientôt plus qu’un concert constitué de cris de panique, de quintes de toux et du fracas de pieds courant sur le plancher pour prendre la fuite.

Des parasites traversèrent le champ holographique. Le système anti-incendie et la ventilation de la salle entrèrent en action. L’image commença à s’éclaircir. Lorsque les couloirs et les balcons furent de nouveau visibles, des corps inanimés étaient étendus un peu partout, sur les marches, affalés sur les consoles de conférence, allongés en travers des rampes d’accès.

– Larve de Sith ! s’écria Corran. Il a éradiqué tout le Sénat !

– Seulement assommé, le corrigea Luke. (Il essayait toujours d’analyser l’étrange réaction de Nom Anor face aux accusations de Fey’lya. Luke savait bien qu’on avait réellement intenté à la vie du Chef de l’Etat puisque Han et Leia s’étaient justement trouvés là lorsque les assassins avaient attaqué. Pourtant, le Yuuzhan Vong avait réagi comme si tout cela n’était qu’une fiction politique.) Je crois qu’il n’a pas voulu détruire le Sénat. Ce type d’outrage ne pourrait que renforcer l’union de la Nouvelle République alors que les Vong cherchent justement à nous diviser.

Il parut vite évident que Luke avait raison. La caméra se braqua à nouveau sur le sol de la grande salle, là où le nuage avait été le plus dense. Des corps commencèrent à s’animer, des gorges sèches toussèrent, à la recherche d’air frais. Les ailes de Kumas se remirent à battre. Fey’lya et les autres conseillers se relevèrent péniblement pour avancer jusqu’à leurs consoles et aboyer des ordres qui n’avaient de sens que pour eux.

Les trois droïdes de protection gisaient inertes sur le sol. L’un d’entre eux était emberlificoté dans la tunique de soie étincelante que portait Nom Anor. En revanche, plus aucun signe de ce dernier.

– Il s’est volatilisé, observa Han. Il devait certainement avoir une de ces choses de grimage autour de la taille.

– Peut-être que la sécurité du palais a réussi à l’arrêter. (Leia se tourna vers Corran qui, en tant qu’ancien membre de la Sécurité Corellienne, avait plus d’expérience que quiconque à ce sujet.) Qu’est-ce que tu en penses ?

Au lieu de répondre, Corran se contenta de regarder Han avec des yeux chargés d’une infinie tristesse. Il contourna la table, Mirax sur ses talons, et écarta les bras.

– Han, Leia… Je suis désolé.

– Du calme, mon vieux, dit Han, faisant un pas en arrière, levant les mains devant lui pour éviter l’accolade de cet ancien officier de CorSec qui, quelques décennies auparavant, l’aurait plutôt pourchassé. Il y a quelque chose que tu dois savoir.

Corran s’arrêta, l’air perplexe autant que vexé. Luke pouffa.

– Corran, si j’ai demandé aux Jedi de se rassembler ici, c’est qu’il y a une bonne raison. (Il se tourna vers Booster.) Mais tout ceci doit rester secret, ajouta-t-il. Très secret.

Booster écarta les bras et embrassa la passerelle du regard.

– Et à qui voudriez-vous que j’aille en parler ?

Luke expliqua la mission entreprise par Anakin et son commando. Il expliqua également comment, sur Eclipse, on essayait de former un groupe de Jedi capable de défendre les otages de Talfaglio.

– Est-ce que tu te souviens de ce que tu as dit à Jacen après la chute d’Ithor ? Qu’il viendrait bien un moment où les gens finiraient par souhaiter le retour de l’homme ayant causé la destruction de la planète…

– Maître, à cette époque, j’étais un peu, heu… déçu, dit Corran. Je ne voulais pas avoir l’air amer…

– J’en suis convaincu, le rassura Luke. Mais, Corran, ce moment tant souhaité est enfin arrivé. L’invasion a échappé à tout contrôle et les Jedi ont besoin de quelqu’un possédant ton expérience. Il faut apprendre à nos jeunes pilotes comment travailler en équipe, comment se battre et comment survivre.

Corran réfléchit quelques instants, puis adressa un regard interrogateur à Mirax.

– Et qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? demanda celle-ci, en désignant son père du pouce. Je ne vais pas passer ma vie à traîner dans les basques de ce vieux grincheux, quand même !

Booster la foudroya du regard et voulut riposter, mais il se contenta de lever les mains et de dire :

– Je me tairai, j’ai juré le secret. (Il regarda Luke.) Je suppose que tu vas avoir besoin d’un destroyer stellaire dans ta petite flotte, non ?

– Pas encore. Mais où pourrait-on le planquer ? (L’offre était pourtant fort tentante, mais Luke souhaitait encore garder les étudiants de son académie à l’abri.) L’Amiral Kre’fey a transformé l’ancien repaire de contrebandiers de Reecee en base de soutien. Je pense qu’il ne devrait pas y avoir de problème pour y accueillir un destroyer stellaire supplémentaire. Vous resteriez suffisamment près d’Eclipse pour rappliquer rapidement au cas où les choses s’envenimeraient.

Booster fixa Luke d’un regard acerbe.

– Je vois où tu veux en venir, petit gars.

– Tant mieux, répondit Luke en souriant. Je commençais à me demander si tu ne t’étais pas endormi.